RAYON LIVRES

Jacek Dehnel: Saturne. Editions Noir sur Blanc, 2014. 20 € / 240 pages

Traduit du polonais par Marie Furman-Bouvard

En faisant parler tour à tour Francisco Goya, son fils Javier et son petit-fils Mariano, Dehnel nous plonge dans un roman familial d’une tension inouïe. Le grand Goya nous apparaît dominateur et rustre, menteur et impulsif : peintre génial, amant insatiable (il aime les femmes et, en secret, un homme), il est aussi un père cruel et déchiré (sa femme et lui ont perdu plus de douze enfants). Goya tourmente son fils unique, Javier, dont le peu de vigueur l’exaspère. Ce dernier, qui a de l’or dans les mains, renonce à peindre, de même que, peu à peu, obèse et retiré du monde, il semble renoncer à vivre. Le petit-fils, Mariano, dont Goya se targue parfois d’être le véritable père (ayant dû, là encore, pallier la faiblesse de Javier), est en revanche un joyeux sybarite, un homme à femmes qui ne fait rien et que son grand-père adore. À la mort de Goya, Javier laissera jaillir son talent et sa rage en peignant les fameuses « peintures noires », série d’œuvres murales qui culminent en un Saturne dévorant l’un de ses enfants. Ces images folles et cruelles, Mariano les fera attribuer plus tard au vieux Goya, rejetant ainsi le témoignage et la mémoire de son père dans l’oubli.

Un roman à trois voix qui nous plonge dans l’enfer familial du génie Francisco Goya – et dans les mystères de ses célèbres Peintures noires, parmi lesquelles figure le Saturne dévorant son enfant. En suivant tour à tour le grand peintre, son fils unique et humilié, Javier, puis son petit-fils Mariano, un jouisseur heureux de sa vie vaine, Dehnel nous restitue magistralement l’Espagne décadente du début du dix-neuvième siècle, et cette Quinta del Sordo (Ferme du Sourd) en laquelle Goya régna sur les siens en tyran.

Jacek Dehnel (né en 1980) est un poète, romancier, peintre, traducteur, docteur ès lettres et spécialiste de la poésie anglaise. Il a remporté de nombreux prix et est considéré unanimement en Pologne comme l’un des écrivains les plus talentueux de la jeune génération. Son roman Lala (2006) a reçu un formidable accueil en Pologne, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, en Italie et en Espagne.

A propos de l’auteur

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’État de Moscou. Après 13 ans passés au sein de l’Unesco, à Paris puis à Genève, et avoir exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, premier quotidien russophone en ligne, lancé en 2007.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », figurant donc parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels : le Forum des 100.

Après 18 ans en charge de NashaGazeta.ch, Nadia Sikorsky a décidé de revenir à ses sources et de se concentrer sur ce qui la passionne vraiment : la culture dans toute sa diversité. Cette décision a pris la forme de ce blog culturel trilingue (russe, anglais, français) né au cœur de l’Europe – en Suisse, donc, son pays d’adoption, le pays qui se distingue par son multiculturalisme et son multilinguisme.

Nadia Sikorsky ne se présente pas comme une "voix russe", mais comme une voix d’Européenne d'origine russe (plus de 35 ans en Europe, passés 25 ans en Suisse) au bénéfice de plus de 30 ans d’expérience professionnelle dans le monde culturel – ceci au niveau international. Elle se positionne comme médiatrice culturelle entre les traditions russes et européennes ; le titre de sa chronique, "L'accent russe", capture cette essence – l’accent n’étant pas une barrière linguistique, ni un positionnement politique mais une empreinte culturelle distinctive dans le contexte européen.

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