RAYON LIVRES

Dantsig Baldaev: "Gardien de camp, tatouages et dessins du Goulag", Ed. des Syrtes, 2013

La connaissance de l’univers du Goulag peut désormais prendre appui sur le document unique que constitue cet album original de dessins effectués de 1949 à 1989 par l’ancien milicien et gardien de prison Dantsig Baldaev, album qu’il a lui-même offert en 1990 à l’ethnologue française Roberte Hamayon. Ces 74 pages de dessins effectués lorsqu’il était fonctionnaire de l’administration pénitentiaire soviétique offrent pour la première fois une mise en image du fonctionnement ordinaire des camps soviétiques, dans leurs aspects les plus terribles et les plus violents. Il pose également de façon magistrale la question du témoin comme celle de la légitimité du témoignage dans un contexte particulier où la parole des bourreaux n’a jamais été entendue.

L’album de Dantsig Baldaev représente à plus d’un titre une source documentaire unique en son genre : son caractère clandestin tout autant que l’époque à laquelle ce travail de graphisme et d’écriture a été réalisé, et le manque d’images des camps. En effet il n’existe que très peu de témoignages photographiques ou graphiques permettant de restituer le fonctionnement du Goulag. Seuls sont disponibles les clichés produits et utilisés dans le cadre de campagnes de propagande, ou les travaux plastiques (gravure, peinture, dessin) réalisés le plus souvent à l’issue de leur détention par d’anciens déportés et conservés par les musées du Goulag. À chaque fois le point de vue des gardiens y fait totalement défaut.

Les dessins de Dantsig Baldaev sont remarquables tant par la violence de leur propos que par la richesse et la précision de leur graphisme. Alors même qu’il rend compte de l’horreur, l’album commenté, annoté et décoré en utilisant les méthodes du scrapbooking, représente ainsi à lui seul un artéfact exemplaire des codes graphiques (typographies, couleur, matières) de la période soviétique.

Dantsig Baldaev (né en Bouriatie en 1925 et décédé en 2005 à Saint-Pétersbourg) était le fils d’un érudit et folkloriste bouriate collaborateur de Roberte Hamayon, spécialiste du shamanisme sibérien. En tant que fonctionnaire du ministère de l’Intérieur et employé de l’administration pénitentiaire de 1948 à sa retraite en 1981, D. Baldaev occupa notamment les fonctions de gardien de prison dans différentes institutions carcérales dont certaines relevaient du NKVD. Dès 1949, il commença à porter un intérêt scientifique à la culture carcérale en travaillant d’une part sur le vocabulaire et le jargon des prisons, et d’autre part en effectuant des relevés de tatouages de prisonniers. Son travail linguistique fit ainsi l’objet de la publication d’un dictionnaire en 1992 (Slovar’ lagerno-tjuremno-blatnogo zargona, Moskva, Kraj Moskvy). Quant à son étude sur les tatouages, elle fit l’objet de plusieurs publications en Europe, dont les deux tomes de la Russian Criminal Tattoo Encyclopedia édités à Londres en 2006 par les éditions Fuel avec une introduction d’Anne Applebaum.

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A propos de l’auteur

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’État de Moscou. Après 13 ans passés au sein de l’Unesco, à Paris puis à Genève, et avoir exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, premier quotidien russophone en ligne, lancé en 2007.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », figurant donc parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels : le Forum des 100.

Après 18 ans en charge de NashaGazeta.ch, Nadia Sikorsky a décidé de revenir à ses sources et de se concentrer sur ce qui la passionne vraiment : la culture dans toute sa diversité. Cette décision a pris la forme de ce blog culturel trilingue (russe, anglais, français) né au cœur de l’Europe – en Suisse, donc, son pays d’adoption, le pays qui se distingue par son multiculturalisme et son multilinguisme.

Nadia Sikorsky ne se présente pas comme une "voix russe", mais comme une voix d’Européenne d'origine russe (plus de 35 ans en Europe, passés 25 ans en Suisse) au bénéfice de plus de 30 ans d’expérience professionnelle dans le monde culturel – ceci au niveau international. Elle se positionne comme médiatrice culturelle entre les traditions russes et européennes ; le titre de sa chronique, "L'accent russe", capture cette essence – l’accent n’étant pas une barrière linguistique, ni un positionnement politique mais une empreinte culturelle distinctive dans le contexte européen.

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