RAYON LIVRES

Lydia Tchoukovskaïa: Entretiens avec Anna Akhmatova. Editions Le bruit du temps, novembre 2019.

Traduction du russe de Lucile Nivat, Geneviève Leibrich et Sophie Benech. Édition et présentation de Sophie Benech. Notes et dictionnaire-index des noms de personne par Lydia et Elena Tchoukovskaïa, complétées par Sophie Benech.

Lorsqu’elle sonne à la porte d’Anna Akhmatova, le 10 novembre 1938, et pénètre pour la première fois dans l’appartement sordide de l’ancien palais où vit l’un des plus célèbres poètes russes du xxe siècle, Lydia Tchoukovskaïa a trente et un ans, Akhmatova quarante-neuf. Les deux femmes se sont déjà croisées mais ne se sont jamais vraiment parlé. Akhmatova connaît le père de Lydia depuis 1912 : Korneï Tchoukovski et elle ont fréquenté les mêmes cercles artistiques et intellectuels avant la révolution. Quant à Lydia, elle voue un culte à son aînée et sait par cœur un grand nombre de ses poèmes. C’est cette mémoire prodigieuse qui lui vaudra de devenir l’une des gardiennes de l’œuvre d’Akhmatova, qu’elle connaît mieux que personne. Leur amitié commence au pire moment de la terreur stalinienne, qui les a toutes deux durement frappées à travers leurs proches. Dès lors et pendant ces presque trente années, elles vont se soutenir mutuellement dans le malheur. Mais ce qui les lie peut- être plus que tout, c’est leur amour pour la poésie et la langue russe. Chacune d’elles s’efforce de préserver l’authenticité de la pensée et de la langue au milieu d’un océan de mensonges : Lydia Tchoukovskaïa rédige Sophia Pétrovna, le seul roman sur l’année 37 écrit « à chaud », et Akhmatova, qui n’a rien publié depuis une quinzaine d’années, compose son Requiem qu’elle n’ose même pas confier au papier et qui n’existera longtemps que dans la mémoire de quelques amis. Or à partir de cette date et jusqu’à la mort de la poétesse en 1966, la jeune femme va tenir un journal dans lequel, à chacune de ses visites, elle note en rentrant chez elle, de mémoire, leurs conversations, les poèmes qu’Akhmatova lui récite, des détails de sa vie quotidienne. En dépit d’une période de dix ans durant laquelle les deux femmes ne se virent plus (de 1942 à 1952), les plus de mille pages de ces Entretiens quasi quotidiens constituent donc un témoignage sans équivalent, autant sur la personnalité d’Akhmatova, que sur une époque, et même plusieurs époques de l’histoire de l’Union soviétique (la Terreur, la guerre, le Dégel, l’affaire Pasternak, l’affaire Brodsky, les débuts de la dissidence).

LES APPORTS DE LA NOUVELLE ÉDITION
Après la mort d’Akhmatova en 1966, Lydia Tchoukovskaïa entreprit de mettre en ordre ses notes (alors impubliables en URSS). Des versions dactylographiées de son texte circulèrent alors clandestinement et parvinrent en Occident, où les deux premières parties furent publiées en russe à Paris à partir de 1976 (sous le titre Notes sur Akhmatova) et en français, par les éditions Albin Michel en 1980, sous le titre Entretiens avec Anna Akhmatova. Dans les années 90, après la chute de l’Union soviétique, Lydia Tchoukovskaïa, mit au point une édition révisée et commentée non seulement de ces deux parties, mais également d’une troisième, allant de 1963 jusqu’à la mort d’Akhmatova. Mais elle disparut elle-même en 1996 sans avoir eu le temps d’achever son travail et c’est donc sa fille Éléna qui fit paraître l’ensemble en trois tomes aux éditions Soglassie en 1997 avec en annexe les « Extraits des Cahiers de Tachkent » (novembre 1941-décembre 1942), des notes prises pendant la guerre à Tachkent et que Lydia Tchoukovskaïa n’avait pas destinées à la publication. C’est sur ces trois tomes, repris en 2013 par les éditions Vrémia, que se fonde la nouvelle édition intégrale en français qui reprend la traduction, revue et complétée des deux premières parties, et ajoute la troisième partie (1962-1966) jusqu’à présent inédite en français, ainsi que les « Extraits des Cahiers de Tachkent », également inédits en français, que nous avons placés en annexe, comme dans l’édition russe.

Critique par prof. Georges Nivat: https://nashagazeta.ch/blogpost/27516

A propos de l’auteur

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’État de Moscou. Après 13 ans passés au sein de l’Unesco, à Paris puis à Genève, et avoir exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, premier quotidien russophone en ligne, lancé en 2007.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », figurant donc parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels : le Forum des 100.

Après 18 ans en charge de NashaGazeta.ch, Nadia Sikorsky a décidé de revenir à ses sources et de se concentrer sur ce qui la passionne vraiment : la culture dans toute sa diversité. Cette décision a pris la forme de ce blog culturel trilingue (russe, anglais, français) né au cœur de l’Europe – en Suisse, donc, son pays d’adoption, le pays qui se distingue par son multiculturalisme et son multilinguisme.

Nadia Sikorsky ne se présente pas comme une "voix russe", mais comme une voix d’Européenne d'origine russe (plus de 35 ans en Europe, passés 25 ans en Suisse) au bénéfice de plus de 30 ans d’expérience professionnelle dans le monde culturel – ceci au niveau international. Elle se positionne comme médiatrice culturelle entre les traditions russes et européennes ; le titre de sa chronique, "L'accent russe", capture cette essence – l’accent n’étant pas une barrière linguistique, ni un positionnement politique mais une empreinte culturelle distinctive dans le contexte européen.

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