Les petit(e)s chef(fe)s du Grand Théâtre

29.07.2024
© Torbjorn Toby Jorgensen

Au terme de la saison qui vient de s’achever, j’ai informé le Grand Théâtre de ma décision de mettre fin à notre collaboration.

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu », annonce le Prologue de l'évangile selon Jean, selon la traduction faite en 1910 par le Genevois Louis Segond.  « Le langage a évolué en tant que moyen de commérage. Selon cette théorie, Homo sapiens est avant tout un animal social. La coopération sociale est la clé de notre survie et de notre reproduction », affirme pour sa part Yuval Noah Harari dans son Sapiens : une brève histoire de l’humanité.

Et pourtant, je constate avec tristesse que ceux pour qui ce n’est pas seulement un privilège mais également un outil et une obligation professionnelle dédaignent ce Don unique qui nous distingue des animaux. Je pense avant tout aux politiciens dont la mauvaise communication et la maladresse verbale engendrent parfois des catastrophes – les cauchemars que nous vivons aujourd’hui sur plusieurs fronts illustrent cette affirmation. Je pense en outre, encore que sur une autre échelle, aux responsables de communication et aux attachés de presse de diverses institutions : les conséquences de leur manque de professionnalisme (ou simplement de bonnes manières… ou les deux !) sont moins dévastatrices mais tout de même destructrices en ce qu’elles démantèlent des relations – professionnelles et humaines.

Mes lecteurs réguliers savent à quel point j’aime l’opéra ; c’est vraiment là une passion “attrapée” dans ma tendre enfance passée entre les coulisses et la salle du Théâtre Bolchoï, à Moscou, et développée depuis lors, toute au long de ma vie. J’ose croire que j’en sais quelque chose et mes connaissances sont appréciées par de nombreux théâtres – y compris La Scala – qui m’accueillent toujours très amicalement.  

Il était donc tout à fait naturel qu’ayant créé NashaGazeta.ch en 2007, j’établisse rapidement un partenariat avec le Grand Théâtre de Genève, à l’époque dirigé par Jean-Marie Blanchard, et qui, par la suite, devait suivre son chemin pendant la décennie de Tobias Richter. Nous n’étions pas toujours d’accord sur tout, mais la communication était directe et le dialogue restait toujours ouvert.

Hélas, au terme de la saison qui vient de s’achever, j’ai informé le Grand Théâtre de ma décision de mettre fin à cette collaboration. Une décision étonnante pour un petit media indépendant pour lequel chaque sou compte. La cause n’en est pas la qualité des productions – l’affaire est une question de goût, encore que les récents articles rendant hommage à feu Hughes Gall, et qui mentionnent les noms des stars qu’on entendait à l’époque à Genève, ne peuvent aujourd’hui que nous faire rêver. (Il serait bon, par exemple, de pouvoir écouter notre Benjamin Bernheim “local” sans devoir se rendre à Zurich ou New York.)  La cause en est exclusivement la (mauvaise) communication.

Un changement radical d’ambiance s’est produit avec l’arrivée au Grand Théâtre d’Aviel Cahn et de son équipe. Le nouveau directeur, qui jouit d’un confortable budget de 32 millions de francs par an, n’a pas manifesté le moindre intérêt à mon endroit, en qualité que partenaire du GTG de longue date ; mieux encore : il a même refusé une proposition d’un des sponsors de prendre un café – le sponsor en question souhaitait nous présenter d’une manière informelle. Je ne connais pas un autre responsable d’une institution culturelle qui se permettrait un tel… luxe (?). La situation s’est encore empirée avec le départ à la retraite anticipée d’une excellente collaboratrice – fait qui m’a obligée de faire face à Karin Kotsoglou, l’actuelle responsable de presse et Public relations.

Durant plusieurs années, au fil de mon partenariat, cette personne qui fait partie de l'image du GTG, n’a jamais réagi au contenu d’aucun de mes articles, ni même accusé réception. En revanche, au moment où tous les opéras du monde font leur possible pour attirer le public et faire parler d’eux, voici le message qui m’a été adressé :
« Bonjour, conformément à la convention 23-24, merci de nous adresser un lien sur les pré-papiers réalisés sur les 5 productions prédéfinies ainsi que sur les comptes-rendus. Une place presse vous sera réservée uniquement sur la première de ces 5 productions ; aucune présence n’est accordée sur les générales pour les comptes-rendus critiques et aucune place presse en dehors des 5 soirées définies dans cette convention. Toute demande complémentaire (photos, ITW) est à solliciter auprès du service de presse du GTG s.millar@gtg.ch. Bien à vous. »

Voudriez-vous continuer à écrire les textes impliqués, toujours basés sur les recherches approfondies et guidées par le désir sincère d’attirer les spectateurs quand on vous parle ainsi ? Moi pas. Heureusement, je puis me permettre d’acheter un billet au Grand Théâtre si j’en ai envie. Sauf que je n’en ai plus envie. Du tout. Je laisse donc le Grand Théâtre avec ses « Sacrifices » annoncés pour la prochaine saison.

Évidemment, le Grand Théâtre et moi nous survivrons l’un sans l’autre. Mais quel gâchis. Vivement l’arrivée d’une nouvelle direction !

Sur cette note un peu amère mais porteuse d’espoir, je vous souhaite une excellente continuation de l’été et vous donne rendez-vous en septembre.

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A propos de l’auteur

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’État de Moscou. Après 13 ans passés au sein de l’Unesco, à Paris puis à Genève, et avoir exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, premier quotidien russophone en ligne, lancé en 2007.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », figurant donc parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels : le Forum des 100.

Après 18 ans en charge de NashaGazeta.ch, Nadia Sikorsky a décidé de revenir à ses sources et de se concentrer sur ce qui la passionne vraiment : la culture dans toute sa diversité. Cette décision a pris la forme de ce blog culturel trilingue (russe, anglais, français) né au cœur de l’Europe – en Suisse, donc, son pays d’adoption, le pays qui se distingue par son multiculturalisme et son multilinguisme.

Nadia Sikorsky ne se présente pas comme une "voix russe", mais comme une voix d’Européenne d'origine russe (plus de 35 ans en Europe, passés 25 ans en Suisse) au bénéfice de plus de 30 ans d’expérience professionnelle dans le monde culturel – ceci au niveau international. Elle se positionne comme médiatrice culturelle entre les traditions russes et européennes ; le titre de sa chronique, "L'accent russe", capture cette essence – l’accent n’étant pas une barrière linguistique, ni un positionnement politique mais une empreinte culturelle distinctive dans le contexte européen.

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