7 octobre – jour des espoirs brisés

07.10.2025

Je commencerai avec un petit retour en arrière. En décembre 2023, j'assistais à une projection privée de matériel vidéo collecté, au cours de la terrible journée du 7 octobre 2023, sur les téléphones portables et les caméras corporelles des terroristes du Hamas et de leurs complices, de même que sur les téléphones des victimes, des secouristes et les caméras de surveillance. Quarante-sept minutes de bestialité indescriptible. Cette projection était organisée par le Club suisse de la presse, qui avait diffusé l'invitation de la section genevoise de l'association Suisse-Israël. À l’époque, j’en parlais en détail dans mon journal, mais il n'est pas inutile de rappeler ici que cette projection fut boycottée par certains représentants de l'aile politique de la gauche genevoise qui ont même été jusqu’à tenter de la saboter. Les « Verts » l'ont fait en bloc, unis, condamnant – je cite – « l'ingérence des autorités israéliennes dans le microcosme politique cantonal ». Il n'est pas inutile non plus de rappeler qu'un an plus tard, six représentants d'un seul et unique parti, les « Verts », votaient contre la reconnaissance du Hamas en tant qu’organisation terroriste et l'interdiction de ses activités sur le territoire suisse. Il s’agit de Brenzikofer (Bâle), Fivaz (Neuchâtel), Klopfenstein Broggini (Genève), Porchet (Vaud), Walder (Genève), Wettstein (Soleure). Nicolas Walder, quant à lui, étant en course pour le Conseil d'État de Genève.

Quasiment pile un an plus tard, le 14 novembre 2024, au cinéma genevois Cine 17, j'assistais à une autre projection – également sur invitation – du film Resisting for Peace (« Résister pour la paix »). Cette projection était organisée par l'association « B8 of Hope », qui soutient le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Prononcez ce nom à haute voix, et l'explication donnée sur le site de l'association vous deviendra claire : « “Beit” a la même signification que le mot “maison” tant en arabe qu'en hébreu, créant un pont entre les langues et les cultures. Le chiffre 8 figurant dans notre logo a une importance particulière, représentant les huit cofondateurs qui ont formé cette alliance extraordinaire ».

Tel que l’indiquait l’invitation, le film documentaire présenté « nous mène à travers Tel-Aviv, Jérusalem, Ramallah, Bethléem, Beit Jala, les points de contrôle en Cisjordanie et les kibboutz à la frontière de Gaza. Le film raconte l'histoire d'hommes et de femmes qui, malgré leurs histoires personnelles complexes et la dure réalité dans laquelle ils doivent vivre, continuent à tisser des liens basés sur la compréhension mutuelle et la compassion ».

Les auteurs du film étaient présents à la projection ; il s’agissait des réalisatrices Hanna Assouline et Sonia Tarrab. Or tout récemment, j'ai reçu en cadeau un livre écrit par Hanna Assouline et intitulé Guerrière de la paix (Éditions du Seuil). Je l'ai reçu avec cette dédicace : « À une autre guerrière de la paix, au nom de l'espoir ».

Je ne me considère nullement comme une guerrière, pas plus que je ne considère mon activité comme de l'« activisme » (un mot qui sonne souvent de façon aussi belliqueuse en français que « militantisme »). De plus, j'aborde toute forme d'activisme avec prudence, voire méfiance ; cependant le mot « espoir » ne pouvait me laisser indifférente : c'est à la fois la signification de mon prénom russe, Надежда, et la traduction du nom de l'hymne israélien – Hatikvah. J'ai donc l'habitude de l'écrire avec une majuscule. Et aujourd'hui, à l’occasion de l'anniversaire de ce terrible pogrom, quand, deux ans plus tard, quarante-huit personnes sont encore aux mains des terroristes et que l'antisémitisme a atteint en Europe une ampleur inédite depuis les années 1930, je veux donc vous parler de ce livre.

Ce livre, je l’ai lu dans le train Genève-Zurich et retour, levant périodiquement les yeux pour regarder nos magnifiques paysages qui contrastaient totalement avec les horreurs décrites dans ces pages et rappelaient qu'il existe une autre réalité.

Hanna Assouline est française ; elle est née dans une famille de juifs séfarades ayant émigré du Maroc, ayant toujours eu des opinions politiques de gauche et ayant grandi dans le XXe arrondissement de Paris – multiethnique, multicolore et multiconfessionnel. Au cours de sa vie encore relativement courte, elle a pu observer de ses propres yeux comment sa France natale changeait, comment se creusait la fracture au sein de la « gauche », comment l'antisémitisme prenait de l'ampleur parallèlement à l'islamophobie, comment des politiciens vaniteux et des médias naïfs jetaient méthodiquement de l'huile sur le feu… Sans parler des réseaux sociaux occupés à monter les uns contre les autres les représentants de différentes communautés et à propager la haine.

D’une manière honnête et objective, sur la base de faits, Hanna Assouline écrit sur sa propre expérience, sur les doutes et déceptions qui ont forgé son caractère et l'ont menée à fonder, en 2021, l'association « Guerrières de la paix ». Le journal Le Monde a pour sa part publié la tribune de ces femmes courageuses qui déclaraient : « Nous refusons que le conflit entre Israéliens et Palestiniens devienne chez nous une guerre entre communautés ». Comme nous le savons, l'appel n'a pas été entendu globalement, mais l'association s'est développée, et dans les premiers jours d'octobre 2023, ses membres – femmes musulmanes aussi bien que juives – se trouvaient en Israël, visitant des kibboutz et des villes palestiniennes pour entendre de leurs propres oreilles ; voir de leurs propres yeux... Ensemble elles ont marché dans les rues de Tel-Aviv aux côtés des participantes de la marche « Femmes pour la paix » pour ensuite, le 6 octobre, se séparer à l'aéroport parisien, débordantes d'impressions...

La réalité dans laquelle vit Hanna Assouline depuis le 7 octobre 2023, quand « trois milles hommes du Hamas ont traversé la frontière avec un seul objectif : assassiner des juifs, le plus de juifs possible », est extrêmement complexe, et les questions qu’elle pose y sont bien plus nombreuses que les réponses.

« Depuis les massacres du 7 octobre, nous sommes en deuil. Un deuil inconsolable. Un deuil décuplé, amplifié par les dizaines de milliers de morts de Gaza…

Dès le 8 octobre, les déclarations violentes, les affrontements et les invectives, les assignations à choisir son camp, ont envahi tous nos canaux de communication. Alors il a fallu faire front : faire entendre une autre voix, celle qui défend la nécessité absolue du dialogue. »

 C’est ainsi que commence son livre. Mais dans les moments de crise, personne ne tend vers le dialogue, personne ne veut écouter la voix de la raison, et chacun – surtout les personnes publiques – est contraint de choisir un camp.

« La polarisation de débats nous place dans une situation intenable : dès qu’on tente de nuancer, on est perçu comme une caution de l’extrême droite israélienne, ou du Hamas. Certains nous accusent de “neutralité complice” avec l’ennemi. Pour les uns comme pour les autres, parler de paix est une trahison ».

 Lisant ces mots d'Hanna Assouline, je me souvenais d'une situation similaire vécue par notre petite rédaction au début de la guerre en Ukraine, quand, ayant pris une position clairement antiguerre, nous appelions au maintien du dialogue, à la résistance contre la haine attisée. Et nous continuons de le faire, luttant toujours plus souvent contre le sentiment que notre voix est celle qui crie dans le désert. Ou plutôt, non pas dans le désert, mais dans la foule.

Le livre d'Hanna Assouline, véritable cri de son âme, est paru l'an passé déjà, et la situation n'a fait qu'empirer depuis lors. L'espoir, comme on le sait, meurt en dernier. Mais que lui arrive-t-il après la mort ? Disparaît-il à jamais ou ressuscite-t-il de ses cendres, tel l'oiseau Phénix ? Et seules les femmes, qui donnent la vie, peuvent-elles assurer une telle résurrection ? Peut-être que oui, car de toute évidence les hommes n’y parviennent pas.

En attendant cette résurrection de l’espoir, je conseille à chacun de lire ce livre qui, pour l'instant, n'existe qu'en français. En fait, non, pas à chacun, seulement à ceux qui veulent vraiment comprendre.

Commentaires (5)

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Laurent Lévi-Strauss octobre 07, 2025

Très bel article, très belle initiative des "Guerrières de la Paix", terrible documentaire diffusé dimanche dernier sur France 5 "Les Guetteuses du 7 octobre" : de très jeunes filles, en fait encore des enfants, chargées de surveiller la frontière de Gaza, non écoutées, désarmées, mal protégées et tuées ou prises en otage, là aussi avec les vidéos du Hamas...
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Sikorsky octobre 07, 2025

Merci beaucoup, cher Laurent!
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Мария еленевская octobre 08, 2025

Спасибо за прекрасную статью. Будем надеяться, что надежда не исчезнет, и разум вернется в мир и "даже" на Ближний Восток. Хочу еще добавить, что один из лозунгов антивоенных демонстраций в Израиле: "Только мир даст безопасность".
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Sikorsky octobre 08, 2025

Большое спасибо за отзыв! Будем надеяться!
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Katja Schwob octobre 12, 2025

Article terriblement explicite de ce qui se joue de plus en plus: haine, violence, exclusion....À quand le dialogue, la compréhension de l'autre. Prémices espérés, dont "Guerrières de la Paix"
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A propos de l’auteur

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’État de Moscou. Après 13 ans passés au sein de l’Unesco, à Paris puis à Genève, et avoir exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, premier quotidien russophone en ligne, lancé en 2007.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », figurant donc parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels : le Forum des 100.

Après 18 ans en charge de NashaGazeta.ch, Nadia Sikorsky a décidé de revenir à ses sources et de se concentrer sur ce qui la passionne vraiment : la culture dans toute sa diversité. Cette décision a pris la forme de ce blog culturel trilingue (russe, anglais, français) né au cœur de l’Europe – en Suisse, donc, son pays d’adoption, le pays qui se distingue par son multiculturalisme et son multilinguisme.

Nadia Sikorsky ne se présente pas comme une "voix russe", mais comme une voix d’Européenne d'origine russe (plus de 35 ans en Europe, passés 25 ans en Suisse) au bénéfice de plus de 30 ans d’expérience professionnelle dans le monde culturel – ceci au niveau international. Elle se positionne comme médiatrice culturelle entre les traditions russes et européennes ; le titre de sa chronique, "L'accent russe", capture cette essence – l’accent n’étant pas une barrière linguistique, ni un positionnement politique mais une empreinte culturelle distinctive dans le contexte européen.

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